mercredi 27 novembre 2019

Virage à 180º

La vie nous réserve de ces surprises, qui parfois, ne sont pas vraiment des surprises.  Ce sont juste l'aboutissement de réflexions et de souhaits souvent inconscients.

Depuis plusieurs années, je désirais m'installer à la pleine campagne, revenir aux sources et à la tranquillité.  Je rêvais aussi de travailler de la maison, de ne plus avoir à me précipiter dans la tourmente quotidienne de la circulation sur l'autoroute, de la course contre la montre pour être à l'heure au bureau.  J'en avais marre de courir partout comme une poule pas de tête, la langue à terre, les crampes au ventre tous les matins et lessivée raide à 21h.  Mais quand t'as pas les moyens, tu t'organises avec ce que tu as.  

Entre le travail et la famille, une autre situation se dessinait à l'horizon.  Mes parents vieillissaient discrètement, sagement, sans se plaindre et peut-être avec un brin de fatalisme dans le coeur.  Quand ma Maman a commencé à vivre avec de sérieuses difficultés de santé, mon conjoint et moi avons pris l'habitude de venir les visiter régulièrement, tous les weekends.  Sauter une fin de semaine était source d'angoisse, pour moi et sans doute pour mes parents aussi, même s'ils ne se plaignaient jamais.

Le vieillissement, ce n'est pas toujours une évidence.  C'est sournois cette petite bête-là!  Ça s'installe tranquillement, mine de rien et un beau jour, ça frappe!  Et parfois, ça frappe plus fort qu'on ne l'attend. 

Avec le vieillissement, on voit venir aussi l'obligation de prendre des décisions difficiles.  Partir en maison de retraite?  Encore faut-il en avoir les moyens!  Rester à la maison jusqu'au bout?  C'est quoi "jusqu'au bout"?  Se débrouiller comme on peut jusqu'au jour où tout basculera vers le CHSLD? Après discussion, nous avons décidé d'emménager chez mes parents, pour les accompagner au quotidien, selon leurs besoins.

Plus facile à dire qu'à faire.  Maison mise en vente.  Planification des travaux d'aménagement d'un logement au sous-sol de la maison paternelle.  Et attendre que la maison soit vendue.  Quitter le boulot (déchirement pour moi, soulagement pour mon conjoint).  Et nous l'avons fait; le virement à 180º.  

Nous avons tout laissé, tout quitté.  Je travaille maintenant à temps partiel pour l'entreprise que je quittais.  Une bénédiction!  En fait, après avoir remis ma démission, mes employeures m'ont proposé de conserver un poste en télétravail. Et j'adore ça!  Souplesse d'horaires, élimination du stress de la route sous n'importe quelle condition, tranquillité de mon environnement.  Et en prime, je suis près de mes parents, à la maison.  Je peux à la fois gagner ma vie ET être présente en tout temps pour remplir le rôle que j'ai endossé volontairement; être proche-aidante.

Nous avons débarqué, mon conjoint, ma fille et moi-même, avec nos bagages, notre ménage et tout notre amour pour deux êtres fiers de leur autonomie et qui tout doucement, perdent de la vitesse.

Ce n'est pas toujours facile et il est faux de croire que tout coule de source.  Nous apprenons à cohabiter, à respecter les limites de l'autre, à s'adapter aussi aux besoins des autres.  Car à vouloir trop en faire, on fait pire que bien.   Pour conserver l'autonomie, il est important qu'ils restent actifs dans leur milieu de vie, dans la mesure de leurs capacités.

Après trois mois, nous sommes encore dans le chantier des rénos, à moitié installés.  Nous partageons la cuisine d'en haut, mais avons une salle de bain bien à nous et entièrement fonctionnelle.  Parfois, les petites manies des uns font grincer les dents (ou dentiers) des autres.  

Mais au final, ma mère se sent mieux et mon père me semble un peu moins inquiet.  À la moindre alerte, nous répondons dans la première minute. Avant, c'était minimum 1 heure de route, et encore, c'était à fond la caisse.  Le spectre de la maison de retraite est repoussé dans le caniveau et mes parents peuvent vivre leur routine en sécurité.  

On ne se fait pas d'illusion.  Je ne peux pas les mettre à l’abri de la maladie qui pourrait les emporter ou d'un accident à 3h du matin, en allant à la salle de bain.  Mais je peux les aider à sécuriser leur environnement et leur permettre de fournir moins d'effort en allégeant les tâches quotidiennes comme la préparation des repas, le ménage en général et toutes ces petites choses que l'on fait par habitude et nécessité.  Je bouscule un peu les coutumes, je modifie et diversifie les menus.  Une bonne nutrition, c'est important  et souvent, quand on est en perte de capacité, on fait court, on tourne les coins ronds et l'apport nutritionnel s'en ressent. C'est aussi ça être proche-aidant.

La Providence m'a donné un immense privilège; celui d'accompagner mes parents dans cette étape ultime de l'automne de leur vie.  J'ai la chance qu'ils soient tous les deux lucides, encore capables d'autonomie et en meilleure santé que bien d'autres du même âge.  

Chaque matin, je me lève et j'admire la campagne qui m'entoure.  Je suis incapable d'imaginer ma vie sans eux, après eux.  Après leur départ.  Après l'arrivée du silence.  Pas encore.  Mon espérance est de leur permettre d'être bien et confortables dans leur maison, aussi longtemps que possible.  Je mets des projets d'avenir sur la table, je partage avec eux mes idées pour maintenant et pour après.  Et je vis dans le présent, dans le maintenant. Et quand je serai dans le "après", j'espère que j'aurai fait ce qu'il fallait et que j'aurai fait une différence positive pour eux, qui m'ont tant donné...